Une voix pour la nature
Jane Gilbert (Photo de Brianna Roye)
Lorsqu’elle traversait le Canada en avion, à la recherche de nouvelles dans son rôle de journaliste pour la radio et la télévision, Jane Gilbert observait le territoire défiler, semblable à une gigantesque courtepointe. Elle était émerveillée par les couleurs, les bouquets d’arbres voisins de champs agricoles, et les « coutures grises ou bleues » que sont les routes et les rivières reliant ces parcelles.
Toutefois, peu de temps après avoir intégré son rôle de communicatrice en chef à Conservation de la nature Canada (CNC), une pensée nouvelle lui vint à l’esprit : « J’ai réalisé que cette courtepointe révélait en fait la fragmentation du territoire. Entre ces parcelles en contrebas, les espèces ne pouvaient plus se déplacer comme avant. » Elle comprit alors le besoin de reconnecter ces lieux à leur histoire.
Depuis 2008, Jane Gilbert travaille pour que l’histoire de ces milieux naturels soit connue des allié(e)s et des partenaires de CNC, ainsi que du grand public. Au fil du temps, elle est parvenue à transformer le discours de CNC, auparavant axé sur une sincère croyance d’une éventuelle diminution des besoins en conservation, vers une pensée urgente et ambitieuse qui articule chaque récit autour des gens qui rendent possible la conservation de la nature.
Aujourd’hui, alors qu’elle s’apprête à quitter CNC, elle réfléchit au défi qui consiste à transformer l’histoire inquiétante du déclin de la nature en une version remplie plutôt d’espoir et de possibilités.
« J’ai réalisé que si les gens ne se voient pas dans le paysage qu’on leur dépeint, ils ne peuvent se percevoir comme faisant partie de la solution », confie la porte-parole sur ses débuts à CNC. « Le secret, c’est les héros. Sans héros dans une histoire, il n’y a pas d’histoire. »
Jane Gilbert (Photo de Brianna Roye)
En feuilletant les chapitres de l’histoire de CNC, on remarque un nombre sans cesse croissant de personnages. « Plus de 500 000 héros et héroïnes travaillent maintenant à nos côtés », déclare Mme Gilbert en parlant des allié(e)s de CNC. « Chaque jour, de plus en plus de gens nous appuient. Sans compter les personnes exceptionnelles qui forment notre personnel. »
Voir des empreintes d’ours dans la boue d’un sentier, ressentir des courbatures après une journée à débarrasser une forêt des populations envahissantes d’alliaire officinale… « Pour notre personnel sur le terrain, tout ça fait partie du quotidien. Pour nos équipes des communications , c’est phénoménal! », lance l’ancienne journaliste.
« Et quand on nous le raconte, on peut en parler. » C’est pourquoi Jane Gilbert a répété ces 15 dernières années une phrase qui a inspiré une génération tout entière de collègues de CNC à trouver (parfois même à devenir) les héros et héroïnes de leur histoire : « Ce qui est ordinaire pour vous peut être extraordinaire aux yeux des autres. »
Sa carrière à CNC a été ponctuée de visites à certains des plus impressionnants territoires protégés par l’organisme. Des côtes déchiquetées de l’Atlantique, aux sommets des Rocheuses, en passant par les Prairies tapissées d’armoises aromatiques. Plus près de chez elle, elle a vu le pouvoir de la nature à l’oeuvre chaque fois qu’un couple reproducteur de faucons pèlerins (une victoire de la conservation en soi) revenait nourrir ses petits, juste de l’autre côté de la fenêtre de son bureau.
Jane Gilbert sait toutefois que peu de gens auront la chance de vivre de tels moments. Pour pallier cette infortune, elle a rassemblé en parfaite symbiose l’humain et la nature dans l’histoire de CNC, en encourageant chacune et chacun à se voir comme acteur et actrice du changement : comme une figure héroïque inhérente à la nature.
« Il est très facile pour nous de l’oublier, dans nos villes, ou canyons de béton, mais nous sommes ici grâce aux rivières et aux milieux humides qui bordent nos communautés et nous procurent de l’eau potable; grâce aux forêts qui stockent le carbone et contribuent à rafraîchir les températures », explique cette narratrice hors pair. « Nous sommes la nature », nous rappelle-t-elle. Que ce soit l’adepte du jardinage qui plante des tournesols sur un balcon au coeur de la plus grande métropole du Canada ou la bénévole qui arrache des plantes envahissantes dans une réserve naturelle de CNC. En plaçant les héros et héroïnes au coeur de l’histoire de CNC, Jane Gilbert a contribué à réunir au sein d’une même trame narrative le destin des humains et de la nature, en un effort pour rapiécer les morceaux disparates de cette courtepointe qu’était le paysage qu’elle a contemplé du haut des airs il y a 15 ans.
Cet article est tiré du numéro Été 2023 du Magazine Conservation de la nature Canada. Cliquez ici pour savoir comment recevoir notre magazine.