Un équilibre à restaurer
Aire de conservation du ranch de la rivière Kootenay, C.-B. (Photo de Colin Way)
C’est le début de l’été et nous voici dans la vallée du Haut-Columbia, en Colombie-Britannique. Tandis que nous marchons dans l’aire de conservation du ranch de la rivière Kootenay, nous sommes saluées par un petit cri strident, suivi d’un deuxième, puis d’un troisième. Parmi les pins ponderosa épars et les herbes sèches, des spermophiles du Columbia (petits rongeurs de la même famille que les marmottes) s’envoient des signaux depuis l’entrée de leurs terriers poussiéreux qui parsèment la forêt ouverte. Quelques mètres plus loin, deux d’entre eux détalent sur ce qu’il reste d’un ancien chemin désormais couvert de sable. «De la nourriture pour les blaireaux», dit Kate MacKenzie, non loin de moi, en les regardant déguerpir. Mme MacKenzie est coordonnatrice à l’intendance des terres à Conservation de la nature Canada (CNC).
Le spermophile du Columbia est une proie particulièrement appréciée du blaireau d’Amérique, un mammifère figurant sur la liste des espèces en péril de la Loi sur les espèces en péril du Canada. Kate MacKenzie explique que si la réintégration du blaireau sur ce territoire est l’un des objectifs de conservation de la propriété, il n’est cependant pas le seul. Depuis que CNC a commencé à acquérir des terres dans cette partie du sillon des Rocheuses en 2004, son personnel s’emploie à éclaircir les forêts denses pour les restituer à l’état de forêt ouverte et de savane herbeuse qui caractérisaient la région avant l’arrivée des Européens. Cet écosystème plaît non seulement au blaireau, mais à une foule d’autres espèces en péril, dont le pic de Lewis, espèce menacée, qui fait son nid dans les cavités abandonnées de vieux arbres morts.
Mme MacKenzie compte parmi les centaines de membres du personnel qui travaillent à des projets de restauration similaires dans l’ensemble du pays. La restauration d’écosystèmes est l’une des activités principales de CNC. Son personnel collabore avec des bénévoles pour planter des arbres et des graminées, contrôler l’érosion, éliminer les espèces non indigènes, désobstruer les ruisseaux et aider à stabiliser les rives.
La restauration est si essentielle à la santé des écosystèmes de la planète, que 2021-2030 a été désignée Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes. Cette initiative vise à promouvoir l’importance de la restauration afin de prévenir, freiner et renverser la dégradation des écosystèmes dans le monde entier. CNC espère jouer un rôle central dans l’amplification et la réalisation des objectifs des Nations Unies au Canada.
CNC déploie déjà beaucoup d’effectifs sur le terrain. L’organisation a montré au fil des ans qu’elle sait «réunir les fonds et faire ce qu’il y a à faire», affirme Stephen Murphy, expert en restauration écologique à l’Université de Waterloo (Ontario). Selon lui, CNC a également su éviter un écueil courant associé aux efforts de restauration et qui surgit quand les responsables de projets n’affirment pas explicitement ce qu’ils tentent d’accomplir. «CNC est très clair et réaliste», conclut-il au sujet des objectifs que l’organisation se donne.
L’un de ces objectifs est de créer des écosystèmes fonctionnels. Selon Dan Kraus, ancien biologiste national de la conservation à CNC, cet objectif suppose de remettre en place les processus naturels qui façonnent les écosystèmes. « Dans les prairies à herbes hautes du Manitoba, par exemple, il faut restaurer le flux des eaux», explique-t-il. Ailleurs, comme dans l’aire de conservation du ranch de la rivière Kootenay [Colombie-Britannique], il peut s’agir de réintroduire le feu intentionnellement. Maintenant que des coupes d’éclaircie ont ouvert la forêt, Kate MacKenzie et ses collègues sont censés faire un brûlage dirigé l’an prochain pour reproduire l’effet des fréquents feux de forêt qui survenaient sur ce territoire. Ce processus assure le maintien des prairies et des forêts sèches ouvertes qui ont durant des millénaires permis à la faune et aux peuples autochtones de survivre.
CNC a déjà recours au brûlage dirigé pour restaurer les prairies à herbes hautes et la savane de chênes dans l’aire naturelle des plaines du lac Rice, en Ontario. «Le paysage en ressort radicalement transformé», indique M. Kraus. Cette aire est gravement fragmentée et envahie par des espèces non indigènes. Conjugués à des coupes d’éclaircie et à du sarclage, les brûlages dirigés permettent d’éliminer les jeunes arbres et arbustes sans endommager les spécimens matures. De plus, le feu prépare le sol pour la germination d’herbes et de fleurs indigènes. «Il arrive que des graines restent en dormance durant des décennies, en attendant le retour de ce processus naturel », explique M. Kraus. Dans certains sites restaurés, il a pu contempler des étendues d’herbes indigènes parsemées de vieux chênes des teinturiers. «Je me suis dit que c’est ce à quoi devait ressembler le paysage il y a plus de cent ans» explique-t-il. Les plaines du lac Rice abritent de nombreuses espèces en péril, dont la couleuvre à nez plat, la sturnelle des prés (un oiseau) et le monarque.
La restauration d’écosystèmes est cruciale pour rétablir les espèces en péril et freiner la perte de biodiversité et, de manière plus générale, pour sauvegarder les bienfaits et services que la nature offre aux humains. Les écosystèmes intacts sont plus résilients face aux changements climatiques, ils représentent un habitat essentiel pour de nombreuses espèces qui pollinisent les cultures et sont importants pour la santé mentale et physique des humains. Selon M. Kraus, la restauration de milieux humides de l’île Pelée (lac Érié), en Ontario, est un exemple de projet qui apporte plusieurs de ces bienfaits. En plus de créer un lieu d’observation des oiseaux, les milieux humides ont pour fonction importante de retenir et de filtrer l’eau et d’atténuer les risques d’inondation pour la population locale.
Cet article provient du numéro Automne 2021 du magazine Conservation de la nature Canada. Pour savoir comment vous pouvez recevoir notre magazine, cliquez ici.
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