Vers un monde prospère
Marais Cavan, Ont. (Photo de Mike Ford)
Par Alanna Mitchell, journaliste scientifique
Les quenouilles se balancent au gré d’une douce brise matinale. Trois castors batifolent dans l’eau peu profonde et leurs dos arqués luisent brièvement au soleil. Le coassement d’une grenouille verte se fait entendre, puis le trille rapide du bruant des marais : tip-tip-tip-tip-tip...
Toujours à l’affût du moindre battement d’ailes, Mark Stabb, directeur des programmes à CNC pour le centre de l’Ontario, saisit ses jumelles pour scruter les arbres. Voilà qu’il remarque une autre espèce, un jaseur des cèdres. Nous sommes près de Peterborough, à la réserve faunique du marais Cavan, un important refuge d’oiseaux que CNC a contribué à conserver et qui s’étend sur 1 340 hectares. Depuis le bord de la route, M. Stabb aperçoit ensuite un gros-bec à poitrine rose, des quiscales, des tourterelles tristes, des chardonnerets, et ce n’est qu’un début. Émerveillés, nous regardons deux grands hérons s’envoler en toute grâce et tranquillité.
« CNC a participé à l’élaboration du projet du marais Cavan il y a plusieurs dizaines d’années », raconte M. Stabb, jumelles en main, en admirant la beauté des lieux. « Puisqu’il est maintenant protégé, il peut remplir ses fonctions. »
La réserve faunique du marais Cavan a quelque chose de plus que les autres vastes aires de conservation que CNC a contribué à créer. Point de départ du travail de CNC au pays, elle est sa première acquisition d’importance. Aujourd’hui, alors que CNC célèbre son 60e anniversaire, le marais Cavan s’impose comme un symbole non seulement du chemin parcouru par l’organisme depuis ses débuts, mais aussi des prochains enjeux auxquels il souhaite s’attaquer.
Catherine Grenier (Photo de Geneviève LeSieur)
« Je crois qu’en 60 ans, nous avons acquis une grande maturité; nous savons maintenant qui nous sommes et comment tirer parti de notre expertise pour trouver des solutions en matière de conservation », déclare Catherine Grenier, présidente et cheffe de la direction. « La nature est dans une situation critique. Nous n’avons jamais vécu de période aussi décisive. CNC a maintenant l’occasion de mettre à profit les compétences uniques qu’il a développées afin d’agir concrètement en faveur de la nature.
Le plan de match? CNC veut miser sur son expertise et ses partenariats pour faire progresser la conservation considérablement, et ce, en doublant durant les 8 prochaines années l’impact qu’il a eu au cours de ses 60 premières années, pour ensuite continuer à garder le cap. « Notre vision ultime est de créer un monde prospère avec la nature », déclare Mme Grenier.
S’inspirer du passé
La boîte à outils de CNC s’est enrichie en même temps que l’organisme. Au moment de sa fondation, en 1962, selon le modèle de fiducie foncière privée inspiré d’autres pays, le Canada avait peu de politiques empêchant qu’un bulldozer puisse détruire un milieu humide, un habitat essentiel pour les oiseaux migrateurs. À cette époque, CNC, qui n’en était qu’à ses balbutiements, s’est démené pour amasser suffisamment d’argent afin de participer à l’achat du marais Rattray. Situé entre Toronto et Burlington, sur les rives du lac du même nom, ce milieu humide important allait probablement être aménagé.
Quand l’entente a échoué, CNC, qui souhaitait poser des actions concrètes, a adopté une nouvelle tactique ambitieuse en s’associant à des autorités en conservation, des gouvernements et d’autres organismes pour protéger cette zone d’importance écologique par l’intermédiaire de fonds privés. C’est avec le marais Cavan, dont une portion a été conservée par CNC en 1968, que l’organisme a pu tester sa stratégie. Aujourd’hui, cette réserve naturelle est gérée par la Otonabee Region Conservation Authority.
Le livre A History of the Nature Conservancy of Canada du regretté Bill Freedman, Ph. D., comprend une réflexion de Charles Sauriol (un des premiers employés de CNC) sur le rôle croissant de l’organisme en tant que partenaire : « Voilà pourquoi CNC est né. Son rôle était celui d’un catalyseur, d’un facilitateur. Sa fonction de pourvoyeur de fonds et de subventions de contrepartie était sa raison d’être » (Freedman, p. 48-49).
Aujourd’hui, CNC est l’organisme caritatif de conservation des terres le plus important au pays. Depuis ses débuts, il a contribué à la sauvegarde de plus de 15 millions d’hectares et gère également certaines de ces terres. Dès 1971, CNC avait multiplié ses efforts en matière de collaboration en établissant un partenariat de 10 ans avec le ministère des Richesses naturelles de l’Ontario (comme on l’appelait auparavant) et la Richard Ivey Foundation (aujourd’hui Ivey Foundation) afin de conserver les boisés le long de l’escarpement du Niagara, en Ontario. Le projet a pris son envol lorsque feus Richard et Beryl Ivey, un couple passionné par l’environnement, ont présenté à CNC leur voisin, nul autre que John Robarts, le premier ministre de l’Ontario à l’époque.
Île Pelee, Ont., un des sites naturels conservés grâce à la Ivey Foundation. (Photo de Sam Brinker)
Les Ivey ont alors proposé une nouvelle stratégie d’investissements jumelés pour l’acquisition des terres situées dans la zone de l’escarpement : la Province pourrait verser 2 dollars pour chaque dollar amassé par le secteur privé, et le titre de propriété serait transféré aux organismes locaux de conservation. Cette stratégie a permis de sauvegarder l’escarpement, qui fait désormais partie d’une réserve de biosphère mondiale de l’UNESCO, en plus de jeter les bases d’éventuels projets.
Jennifer Ivey Bannock, la fille de Richard et Beryl Ivey, a perpétué la passion familiale pour la conservation en oeuvrant au sein du Conseil d’administration de CNC.
« Mes parents se passionnaient pour l’environnement », affirme-t-elle. « J’ai siégé avec plaisir pendant plusieurs années au Conseil d’administration de CNC et c’est là que j’ai appris à apprécier la grande variété des paysages canadiens. Alors que la nature subit des pressions importantes, le travail de CNC pour conserver les derniers joyaux naturels du pays est encore plus crucial. »
Le projet de l’escarpement du Niagara a été suivi par d’autres initiatives conjointes ingénieuses. Larry Simpson, conseiller principal en philanthropie stratégique et en conservation à CNC en Alberta, s’est joint à l’organisme en 1990. « J’étais le premier employé à l’ouest de Toronto », dit-il en riant. Cette période correspond au début d’une expansion nationale sur 10 ans, qui a ouvert la voie à une multitude de nouvelles possibilités grâce aux liens créés avec les communautés.
« Ce que nous essayons de faire, c’est d’inciter les gens à joindre un mouvement visant à bâtir un pays propice à l’épanouissement de nos enfants », explique M. Simpson. « C’est une fabuleuse et puissante mission. » Il s’est toutefois rapidement rendu compte que le régime fiscal du Canada ne permettait pas aux citoyennes et citoyens, ainsi qu’aux entreprises, de déterminer la juste valeur marchande du don de terres ou d’élaborer des accords de conservation comportant certaines restrictions liées à leur utilisation.
Après avoir reçu un petit don de la part de Neil Harvie, éleveur et propriétaire du légendaire Glenbow Ranch en Alberta, Larry Simpson est allé visiter les directeurs et directrices de la faune de plusieurs provinces pour discuter de la possibilité d’établir de nouvelles règles fiscales favorisant la conservation. Résultat, le Programme des dons écologiques du Canada, lancé en 1995.
Il s’agit d’une solide collaboration entre des dizaines de partenaires issus de divers ministères fédéraux et d’autres paliers de gouvernement, ainsi que des organisations non gouvernementales. Jusqu’à présent, plus de 200 000 hectares de terres écologiquement sensibles, dont la valeur totale est évaluée à près de 1 milliard $, ont été conservés dans le cadre de ce programme. Aujourd’hui, ce dernier continue à s’étendre et de plus en plus de propriétaires fonciers y participent chaque année.
Cet article est tiré du numéro Automne 2022 du Magazine Conservation de la nature Canada. Cliquez ici pour savoir comment recevoir notre magazine.