Créer des liens
Les liens qui unissent les éléments de la nature sont visibles sur cette photo d’un arbre, d’une roche et du ciel de Kenauk, au Québec (Photo de Guillaume Simoneau)
La collaboration entre des conservationnistes permet d’obtenir des résultats significatifs en matière de préservation d’habitats, de sensibilisation et de recherche
Par Dominique Ritter, rédactrice et réviseure
En été, King Kong ne s’éloigne jamais de son domaine vital. Cet orignal, un mâle de huit ans et demi qui tient son surnom de son imposant gabarit, passe ses nuits à manger des pousses de peupliers et de hêtres. Pendant les heures les plus chaudes de la journée, c’est à l’ombre de grands sapins qu’on peut le voir, couché sur un tapis de mousse frais et humide, les jambes repliées et son panache de 1,4 mètre d’envergure penché d’un côté et déposé au sol pour un peu de repos.
Cette vie passée à grignoter et à faire des siestes paraît assez facile, jusqu’à ce que l’on songe à l’effort que représente l’ingestion de 22 à 25 kilogrammes de végétaux par jour, sans parler des défis considérables qui attendent King Kong. Car une fois l’automne venu, il entamera une quête vitale : engendrer les faons de la prochaine année.
En effet, dès les premiers jours de septembre, King Kong passe d’homme au foyer à grand voyageur. De son territoire situé dans la réserve naturelle de Kenauk, dans le sud-ouest du Québec, il doit signaler aux femelles de la région qu’il est fin prêt. Le temps est venu pour lui de s’aventurer dans les profondeurs de la forêt.
King Kong entreprend son pèlerinage d’automne en parcourant un territoire d’environ 10 kilomètres carrés pour frotter sur les arbres ses bois en mue soigneusement arrosés de son urine concentrée en testostérone. Il n’est pas rare que 5 ou 6 femelles répondent à cette campagne de marketing olfactif. Il n’est pas rare non plus que plusieurs jeunes mâles rejoignent le territoire de King Kong pour tenter de persuader une femelle que leur imposant rival n’a pas toutes les qualités recherchées.
On comprend donc que si la plupart des orignaux ne migrent pas, ils se déplacent, et beaucoup. Cette liberté de mouvement est absolument essentielle pour leur santé, leur capacité à se reproduire et la survie à long terme de leurs populations, en particulier sur une planète qui se réchauffe. Prendre en compte ces déplacements est l’une des principales préoccupations des conservationnistes quand vient le temps de parler de connectivité écologique.
Élaborer un réseau
Photo de Sean Feagan/CNC. Médaillon : Doug Dersken, Leta Pezderic/CNC
Des principes communs sont indispensables pour que les conservationnistes puissent collaborer ensemble à la réalisation d’objectifs qui transcendent les écosystèmes et les frontières, et ce, afin de créer des solutions à long terme. C’est pourquoi, dans le monde, la plupart des plans de conservation — y compris ceux de Conservation de la nature Canada (CNC) — suivent quatre grands principes : la Connectivité, l’Adéquation, la Représentation et l’Efficacité (désignés par l’acronyme CARE, mot anglais qui se traduit par «prendre soin »).
« La connectivité est la mesure dans laquelle les territoires permettent aux espèces de se déplacer et aux processus écosystémiques de se dérouler. Elle est directement liée à la résilience des paysages et à la diversité génétique des populations », explique Marie-Andrée Tougas-Tellier, chargée de projets à CNC et responsable de l’Initiative québécoise Corridors écologiques (IQCÉ).
Nous sommes à Kenauk, au bord du lac Maholey, d’une superficie de 93 hectares. C’est une source riche en plantes aquatiques dont King Kong aime se nourrir au printemps. Au-delà du tapis flottant composé de nénuphars, un grand héron enfoncé jusqu’aux « genoux » est en quête de sa prochaine prise. L’unique structure humaine visible est le quai sous nos pieds. Bien que cet habitat soit parfait pour les orignaux, ces derniers ont également besoin de corridors sécuritaires pour se déplacer sur de vastes distances.
Champignons sur tronc d'arbre (Photo de Guillaume Simoneau)
Étant donné les valeurs naturelles exceptionnelles de ce territoire, CNC est associé à l’Institut Kenauk depuis 2013 pour en assurer la protection à long terme. Ses 26 500 hectares en font l’une des plus grandes forêts tempérées consacrées à la conservation et à la recherche en Amérique du Nord. C’est aussi un habitat important, puisque 112 espèces rares y ont été observées dans les 8 dernières années.
Kenauk est en outre un élément crucial d’un réseau naturel beaucoup plus vaste, un corridor de 300 kilomètres vital pour les espèces, de la paruline du Canada à la tortue peinte, en passant par le loup et l’ours noir.
Le pouvoir des humains
Cary Hamel, directeur de la conservation à CNC au Manitoba, s’emploie depuis près de 30 ans à protéger les terres et à faciliter le passage de la faune d’une région à l’autre. L’un des défis de son équipe est de continuer à conserver des habitats d’importance et à rétablir la connectivité dans des zones clés entre le parc national du Mont-Riding, à environ 250 kilomètres au nord-ouest de Winnipeg, et le parc provincial de Duck Mountain, plus au nord.
Cet extrait est tiré de l'article principal du numéro Automne 2023 du Magazine Conservation de la nature Canada. Cliquez ici pour savoir comment recevoir notre magazine.