Pour que chantent encore les oiseaux des prairies
Sturnelle de l'Ouest (Photo de Leta Pezderic/CNC)
Les oiseaux chanteurs des prairies comptent parmi les oiseaux au déclin le plus rapide en Amérique du Nord.
La chance d’assister à un de leurs concerts par une fraîche matinée dans les Prairies n’est pas donnée à tout le monde, mais celles et ceux qui ont pu en faire l’expérience comprennent l’importance et toute la beauté de ces espèces en déclin.
Une tendance inquiétante
La faune ailée est un élément parmi les plus fascinants des écosystèmes des Prairies. Sa diversité est grande, qu’on pense seulement aux oiseaux chanteurs et aux rapaces, qui ont pu, chacun à leur manière, s’adapter aux défis que pose la vie dans les milieux ouverts.
Les oiseaux de prairie sont toutefois en grande difficulté. En effet, ils comptent parmi les groupes d’oiseaux dont le déclin est le plus rapide en Amérique du Nord.
Selon le rapport L’état des oiseaux du Canada 2019, environ 57 % des oiseaux de prairie ont disparu au pays (un déclin qui n’est surpassé que par celui des insectivores aériens). L’engoulevent d’Amérique compte parmi ces espèces habitant les Prairies canadiennes.
Plus les espèces dépendent des milieux de prairies, plus elles semblent en difficulté. Le rapport mentionne aussi que ce sont les oiseaux dépendant plus spécifiquement des prairies indigènes (pour se reproduire et passer l’hiver) qui connaissent le déclin le plus rapide, à savoir une diminution astronomique de 87 %. Et les oiseaux chanteurs sont de ce nombre.
Par exemple, le plectrophane à ventre noir a connu un déclin de 96 % de 1970 à 2019, selon le Relevé des oiseaux nicheurs de l’Amérique du Nord. Cet oiseau, principalement gris et blanc, est présent dans le sud-est de l’Alberta et le sud-ouest de la Saskatchewan, où il se livre à de spectaculaires manœuvres en s’élevant dans le ciel, en déployant ses ailes et en se laissant planer jusqu’au sol, et ce, sans cesser de chanter.
Pipit de Sprague (Photo de Steve Zack)
De 1970 à 2019, le pipit de Sprague a pour sa part connu un déclin de 4 % par an. Bien qu’on aperçoive rarement cet oiseau aux couleurs ternes quand il est près du sol, son chant s’entend de loin lorsqu’il virevolte à près de 100 mètres dans les airs.
En raison des déclins précédemment mentionnés, de nombreuses espèces d’oiseaux chanteurs des prairies sont désormais répertoriées en vertu de la Loi sur les espèces en péril du Canada, et certaines protégées par des lois provinciales. Au nombre de celles-ci plusieurs vivent dans des habitats de hautes prairies, comme le plectrophane à ventre noir et le bruant de Baird, en plus des deux espèces déjà mentionnées.
De plus, certaines espèces qui ne sont pas encore considérées comme en péril ont connu un déclin important. Par exemple, la sturnelle de l’Ouest, une espèce autrefois commune dans les prairies et dont le chant strident est considéré par beaucoup comme emblématique de cet habitat, connaît un déclin de plus de 1 % par an, selon des données du Relevé des oiseaux nicheurs de l’Amérique du Nord.
Ces tendances alarmantes indiquent que non seulement les oiseaux de prairie sont en difficulté, mais aussi les écosystèmes de prairie en général. Les oiseaux chanteurs sont des espèces dites indicatrices, c’est-à-dire que leur présence peut démontrer qu’un écosystème est fonctionnel et en bonne santé, alors que leur disparition peut être révélatrice d’un grave problème.
Un périple parsemé de menaces
Un groupe de scientifiques se passionnant pour les espèces sauvages étudie les oiseaux chanteurs des prairies et leur déclin. Parmi ceux-ci, on compte Adam Moltzahn, chargé de projets à CNC dans le centre-sud de l’Alberta. Au cours de sa carrière, il a mené des relevés sur des espèces en péril, y compris les oiseaux chanteurs des milieux de prairies.
La raison derrière la disparition de ces oiseaux chanteurs dans les Prairies canadiennes est complexe, explique Adam.
Engoulevent d’Amérique (Photo de Gail F. Chin)
« C’est un groupe d’espèces dont le déclin est causé par un ensemble de facteurs différents », dit-il.
Les oiseaux chanteurs de nos Prairies sont migrateurs, et certains se rendent le plus au sud possible, jusqu’en Amérique du Sud, pour y passer l’hiver. Par conséquent, ils font face à une série de menaces tout au long de leur cycle de vie, aussi bien dans leur habitat de reproduction que celui d’hivernage, et même durant leurs déplacements entre les deux.
Au Canada, l’une des principales menaces qui pèsent sur eux est la perte et la fragmentation de leurs habitats de reproduction. Depuis la colonisation européenne, plus de 70 % de l’écosystème de prairie a disparu des Prairies canadiennes (Alberta, Saskatchewan et Manitoba) en raison de leur conversion. Aujourd’hui, ce qui en subsiste se limite souvent à des parcelles de plus petite superficie, dont la qualité a été altérée par des perturbations comme le développement industriel et par la présence croissante d’espèces de végétaux exotiques.
Voilà pourquoi il est si important pour les oiseaux chanteurs des prairies et les autres espèces qui vivent dans cet écosystème de conserver les vastes étendues de prairies qui subsistent et de travailler en partenariat avec les éleveuses et éleveurs de bétail à l’application de pratiques de gestion bénéfiques.
Similaires, mais différents
Le rétablissement des oiseaux chanteurs des prairies passe par la gestion durable de leurs habitats, puisque même s’ils dépendent tous des prairies, leurs besoins en matière de type de conditions environnementales diffèrent.
« Chacun a besoin d’un habitat différent pour se reproduire, se nourrir et nicher », explique Adam.
Par exemple, le pipit de Sprague privilégie les milieux où l’herbe est plus haute et où le sol est couvert de matières végétales en décomposition.
« Puisque le pipit de Sprague niche au sol, il utilise les matières organiques de l’année précédente pour construire son nid parmi les touffes d’herbe, explique-t-il.
D’autres oiseaux, comme le plectrophane à ventre gris, affectionnent plutôt les milieux relativement dénudés et pauvres en matières organiques.
« Ils ne sont pas friands des structures verticales, c’est-à-dire les herbes hautes et les arbustes », explique Adam.
Une mosaïque faite sur mesure
Pour combler les besoins de chaque espèce, les prairies sont gérées de manière à former une « mosaïque » d’habitats différents. Le pâturage, qui aujourd’hui est généralement assuré par le bétail, se trouve au cœur de la gestion des prairies.
Bétail au pâturage (Photo de CNC)
Le pâturage en rotation est l’une des méthodes utilisées pour créer cette mosaïque. Elle consiste à faire paître le bétail dans certaines sections et à en laisser d’autres en jachère (c.-à-d. au repos), en alternant entre celles qui sont pâturées et à quel moment, et celles en jachère.
« Vous pouvez faire paître le bétail sur une section de la terre du ranch une année, puis la laisser en jachère pendant deux ou trois ans, tout en concentrant le pâturage sur une autre partie du site ou du ranch l’année suivante », explique Adam. « Au fur et à mesure que les herbes et autres végétaux se rétablissent et repoussent après avoir été broutés, l’alouette hausse-col et le plectrophane à ventre noir peuvent venir y nicher et se nourrir, tandis que celles qui n'ont pas été touchées depuis quelques années peuvent abriter des oiseaux comme le pipit de Sprague. »
Cette dynamique est un exemple de la manière dont l’intendance par les propriétaires de ranchs est aujourd’hui essentielle au maintien de la biodiversité dans les prairies.
« Les propriétaires de ranchs et de terres font un excellent travail en conservant les milieux de prairies sur leur propriété, qui fournissent des habitats de reproduction essentiels pour une multitude d’espèces », dit-il.
Le voir pour le croire
Chaque année, en juin, Adam effectue des relevés d’oiseaux des prairies sur les sites protégés par CNC dans le sud de l’Alberta. Cela a pour but de répertorier les espèces présentes sur chacun, ce qui peut contribuer à éclairer la prise de décision quant à leur gestion.
Lever du soleil, Aire de conservation des prairies patrimoniales Old Man on His Back, Sask. (Photo de Cameron Wood/CNC)
« Se réveiller avant que le soleil ne se lève pendant les plus longues journées de l’année est difficile, mais ça en vaut la peine au bout du compte, affirme Adam. À cinq heures du matin, au levée du soleil, la prairie chante! Il est vrai que se lever à trois heures du matin est un défi pour moi, mais une fois sur le terrain, jamais je ne regrette cet effort. Voir la prairie s’animer du spectale sonore des oiseaux chanteurs, ça n’a pas de prix. »