Frog Bear : retour au bercail
Grenouilles léopards (Photo du Calgary Zoo/Wilder Institute)
Dès le début d’avril, les grenouilles léopards troquent les eaux profondes, où elles ont passé la froidure de l’hiver, pour des milieux humides moins creux. Une fois rendues, elles commencent à se faire la cour en quête d’un ou d’une partenaire. En Colombie-Britannique, le « ronflement grave » qu’est le cri de reproduction du mâle peut être entendu depuis les milieux humides de la vallée de Creston, le dernier site de reproduction de cette espèce dans la province.
Dans cette région riche en biodiversité qu’est la vallée de Creston, dont la valeur écologique des milieux humides est reconnue à l’échelle internationale, le corridor de conservation Frog Bear de Conservation de la nature Canada (CNC) protège et améliore l’habitat précieux de cet amphibien en voie de disparition.
Protégé depuis 2012, Frog Bear est un corridor écologique pour les espèces ayant inspiré son nom : la grenouille léopard et le grizzly. La dernière population à l’état sauvage de grenouilles léopards de la Colombie-Britannique dépend exclusivement des milieux humides de la vallée de Creston pour se reproduire, alors que les grizzlys fréquentent ces terres lorsqu’ils la traversent.
« Bien que les grenouilles léopards étaient autrefois répandues partout en Amérique du Nord, les populations de l’ouest du continent connaissent un déclin rapide depuis les années 1970 », affirme Richard Klafki, directeur du programme des Rocheuses canadiennes de CNC et membre de la Northern Leopard Frog Recovery Team. « Historiquement, la principale menace était la destruction de leur habitat causée par le drainage et l’assèchement des milieux humides au début et au milieu des années 1900. »
Au terme d’une longue histoire marquée par la pratique intensive de l’agriculture ayant drainé les milieux humides et altéré les plans d’eau de la vallée de Creston, CNC souhaitait améliorer l’intégrité écologique de ses terres de Frog Bear afin de protéger la population de grenouilles léopards en déclin dans la province.
Restaurer le passé pour l’avenir
La santé d’un milieu humide peut souvent être mesurée par la présence d’espèces indigènes d’amphibiens. Selon Richard Klafki, dans le cas précis de la vallée de Creston, les grenouilles léopards témoignent de la bonne santé des milieux humides. « Les grenouilles permettent le transport des nutriments et des minéraux au sein des composantes aquatiques et terrestres de l’écosystème. »
Elles se nourrissent de microorganismes présents dans l’eau douce. Puisqu'elles sont chassées par des carnivores plus imposants, ces espèces jouent un rôle important dans le transfert de nutriments vers le haut de la chaîne alimentaire.
Têtard de grenouille léopard (Photo du Calgary Zoo/Wilder Institute)
En 2021, CNC a lancé un projet échelonné sur deux ans sur les terres de Frog Bear afin de restaurer les habitats d’eau douce en santé qui abritaient autrefois ces grenouilles léopards (de la larve à la maturité) ainsi que d’autres espèces qui dépendent des milieux humides et qui sont présentes dans les écosystèmes indigènes de la vallée de Creston.
À l’aide d’équipement de terrassement, les champs qui avaient remplacé les anciens milieux humides ont été convertis en trois nouveaux milieux humides, totalisant une superficie de 2 hectares. Comme les grenouilles léopards préfèrent des habitats de reproduction et d’alimentation diversifiés, ces nouveaux milieux humides sont de profondeur, de forme et de taille variées. Ils sont également conçus pour s’assécher une fois le cycle de reproduction des grenouilles léopards terminé, afin que les étangs ne soient pas colonisés par le ouaouaron, une espèce envahissante.
Pour maintenir la bonne santé des écosystèmes des milieux humides, il faut également restaurer la biodiversité des végétaux indigènes dans les espaces verts situés entre les rivages et les hautes terres, aussi appelés zones riveraines. Ces végétaux riverains, comme le peuplier, le cornouiller, l’amélanchier et l’aubépine, stabilisent les berges, constituent une source de nourriture pour les mammifères et attirent les invertébrés, dont la grenouille léopard se nourrit. Pour favoriser leur croissance, CNC a réaménagé un ancien ruisseau de manière à assurer un approvisionnement régulier en eau douce pour les habitats riverains.
Tandis que CNC restaure les habitats des milieux humides pour les grenouilles léopards, le Wilder Institute/Zoo de Calgary (Alb.) œuvre au rétablissement de la population de cette espèce en Colombie-Britannique par l’entremise de programmes de reproduction, de remise en liberté et de réintroduction.
« L’élevage en captivité et les réintroductions sont essentiels au rétablissement à long terme des grenouilles léopards », affirme Richard. « Cet été, nos partenaires du Wilder Institute/Zoo de Calgary ont relâché quelques têtards dans des milieux humides restaurés sur l’une de nos terres de conservation près de Kimberley. »
Richard a également dit espérer voir des grenouilles léopards à Frog Bear l’année prochaine. « Puisque les populations de grenouilles de la vallée de Creston migrent de façon saisonnière entre les habitats, les milieux humides restaurés de Frog Bear leur serviront de corridors pour se déplacer. »
Grenouilles léopards relâchées dans un milieu humide restauré (Photo du Calgary Zoo/Wilder Institute)
Comme pour la restauration des habitats, la réintroduction d’espèces ne s’arrête pas au moment où elles sont relâchées dans la nature. Le Wilder Institute/Zoo de Calgary mène actuellement des recherches sur les populations de grenouilles léopards dans l’ouest du Canada et aux États-Unis, dans l’espoir de répondre à la question : pourquoi ces grenouilles ont-elles du mal à maintenir leurs populations?
Entre-temps, alors que Richard attend la venue de l’hiver, il espère que les grenouilles léopards indigènes trouveront les milieux humides restaurés du corridor de conservation Frog Bear utiles lors de leurs déplacements entre leur habitat de reproduction et d’hivernage. Malgré leur petite taille et les défis qu’elles doivent relever pour survivre, Richard est certain que les grenouilles léopards continueront à contribuer à la santé et à la résilience de la vallée de Creston, car elles jouent un rôle unique au sein de la communauté écologique de cette région.