Le jour où je me suis mis à enlacer des arbres
Je dois dire pour commencer que je suis un scientifique; je ne suis pas un hippie. Je ne fais pas brûler d’encens, n’utilise pas des pierres ou de cristaux pour la guérison et je ne porte pas de patchwork. Je conduis une voiture, mange de la viande et j’aime lire sur des sujets comme la Loi de l’impôt sur le revenu. Toutefois, j’admets très ouvertement que j’aime les arbres. En particulier lorsque je dois traiter des arbres dans un contexte d’écologie communautaire, de la dynamique des forêts, ou de la succession et de l’identification de certains types de forêts uniques et rares.
Je dois tout de même expliquer comment un scientifique comme moi peut se retrouver en train d’étreindre un arbre et, surtout, d’aimer le faire plus qu’il ne l’aurait cru. Mais peut-être est-il plus important de dire que maintenant je comprends mieux pourquoi j'ai tellement aimé le faire.
Tout a commencé avec un seul mot. Je discutais avec quelques membres de ma famille (de descendance allemande) à propos de la série de conférences « Les forêts : un enjeu pour tous », que Conservation de la nature Canada (CNC) et le Groupe Banque TD ont tenue à travers le pays. Tandis que je parlais des sujets abordés par les conférenciers à propos des forêts, quelqu’un m’a regardé et a lancé le mot allemand « Waldensemkite ». Voyant mon air interrogateur, ils m’ont alors expliqué qu’il s’agissait d’un mot à propos d’être dans la forêt.
Waldensemkite. Enfant, j’ai dû me rendre tous les samedis matin aux cours d’Allemand. J’en ai retenu quelques bases de la langue, mais jamais je n’avais entendu ce mot. Lorsque j’ai fait quelques recherches pour trouver la traduction officielle, j’ai découvert que Waldensemkite exprimait « le sentiment de paix que quelqu’un ressent lorsqu’il est seul en forêt ».
Après que ma surprise initiale d’apprendre que les Allemands aient pu créer un mot spécifique pour identifier pareil concept fut passée, je me suis mis à me questionner à propos de la façon dont la langue peut influencer notre relation avec la nature. J’ai donc commencé à m’informer au sujet d’autres cultures, de leurs références et de leurs langues, et quant à leur façon de lier l’humain et la nature. À ma grande surprise, j’ai appris que la Corée et le Japon avaient développé des mots qui se traduisent par « bain de forêt », et qui expriment l’idée d’être nettoyé grâce au fait de passer du temps en forêt et de respirer ses effluves.
J’aimais beaucoup moi-même l’odeur des conifères et j’appréciais aussi de me trouver en forêt. Je peux même dire que j’avais déjà expérimenté le concept Waldensemkite plusieurs fois. Mais d’y réfléchir me porta à me questionner : si les Allemands, les Japonais et les Coréens avaient pris la peine d’inventer des mots décrivant cette expérience unique qui est de se retrouver en forêt, jusqu’à quel point cette expérience pouvait-elle être réelle, concrète? Comment pouvait-on faire la preuve de pareille expérience?
Je dois admettre que j’étais plutôt sceptique. Nous avons beaucoup de mots pour désigner beaucoup de choses qui ne sont pas concrètes, ou qui du moins ne peuvent être mesurées. Par contre, lorsque je me suis mis à faire des recherches, j’ai appris que cette sensation ressentie par l’humain au contact des arbres n’était pas sans preuves physiques réelles. En effet, des études récentes démontrent que de respirer l’air des forêts a un impact direct sur notre santé. Les arbres nous fournissent bien sûr de l’oxygène, mais ils libèrent également dans l’air plusieurs autres composantes qui ont un impact notable sur notre pression sanguine, notre système immunitaire et notre sensation de bien-être général. Cette odeur de pin et d’épinette bien présente en forêt est en fait un complexe chimique aérien composé d’alpha-pinène, de carène, de myrcène et de terpènes. Ces substances, inhalées par nos poumons, affectent notre corps et notre cerveau en pénétrant notre flux sanguin.
Mais est-ce que cette « vapeur invisible » émise par la forêt pouvait avoir un impact réel sur moi? En tant que scientifique, j’adore les expériences. Mon plan était simple : durant une semaine entière, je devais passer au moins cinq minutes à maximiser le contact entre l’humain et l’arbre (je devais donc enlacer un arbre). J’habite en milieu rural, ce qui me permettait de vivre cette expérience sans la présence de curieux observateurs, à l’exception de ma chienne Lyla. J’avais donc choisi d’enlacer des arbres, puisque j’avais le luxe de me trouver près d’eux pratiquement tous les jours et qu’il me fallait un contact encore plus rapproché que celui que j’entretiens habituellement avec eux. Je notais chaque fois la façon dont je me sentais avant de le faire, après l’avoir fait et à la fin de chaque journée.
Cette semaine-là, j’ai eu des interactions très intimes avec sept différentes essences d’arbres. J’ai enlacé un frêne blanc, un sapin baumier, un érable à sucre, un hêtre, un peuplier faux-tremble, un thuya occidental et un genévrier. Je vois chacun de ces arbres régulièrement; pourtant je dois confesser que j’ai été un peu surpris de voir à quel point on peut apprendre à mieux connaître un arbre grâce à cinq minutes « d’intimité ». Les profonds sillons dans l’écorce du frêne abritent un microcosme de mousses et de lichens. L’érable à sucre est visité maintes fois par les mésanges et les sittelles, qui cachent des graines sous son écorce. L’odeur du thuya est définitivement celle que je préfère. Le tronc du sapin baumier était couvert de petites bulles de résines, qui ont rendu mes mains et mon manteau tout collants. Mon visage fut enduit par la fine poudre blanche qui recouvrait l’écorce lisse et douce du peuplier faux-tremble.
Comment ai-je vécu cette expérience? Au début, je me questionnais sérieusement sur son bien-fondé et tentais le plus possible d’éviter le regard penché et interrogateur de Lyla. Mais une fois ces premiers moments passés, je me suis pris à réellement apprécier ma dose quotidienne de câlins avec un arbre, sans trop savoir pourquoi. Peut-être était-ce le fait de penser à ce dont j’avais l’air, mes bras entourant le tronc, ou le fait de simplement prendre quelques minutes pour respirer calmement, ou encore le fait d’enlacer un être vivant qui me survivra pour voir vivre mes arrière-petits-enfants. Ou peut-être était-ce simplement le parfum d’un arbre et la sensation euphorisante de la « vapeur invisible » de la forêt.
Mais tout compte fait, ce qu’il faut en retenir c’est qu’il est très difficile d’enlacer un arbre ou de passer du temps en forêt et de se sentir mal en même temps.
Apparemment, il s’avère que cette conclusion à également été entérinée par l’Organisation mondiale de la santé. En effet, un récent rapport (disponible en anglais seulement) à propos de la santé humaine et de la nature indique que « l’interaction avec la nature pourrait être un apport aux traitements contre la dépression, l’anxiété et certains problèmes comportementaux ».
Les arbres ne contribuent pas uniquement à définir les écosystèmes, à abriter et nourrir la flore et la faune, à assainir l’eau et l’air; ils peuvent également nous influencer directement, en nous partageant une petite dose de leur souffle unique, comme d’une drogue apaisante et relaxante. Quand on y pense, il s’agit là d’une grande leçon d’humilité. Respirer à fond l’air de la forêt canadienne, ce poumon composé d’un milliard d’arbres qui rafraîchit et purifie l’air, pourrait faire de nous tous de meilleures personnes, en plus d’être l’une des exportations les plus importantes du Canada vers le reste du monde.
Alors, serait-il possible que les arbres soient en train d’essayer de nous faire admettre quelque chose que nous comprendrions, si nous prenions la peine de les écouter?