Sur le terrain avec les monarques 7 octobre 2025
Imaginez que vous deviez faire un long trajet en voiture. Impossible d’oublier de faire le plein ou de recharger votre véhicule avant de partir, n’est-ce pas? Il en va de même pour le monarque. Pour se préparer à sa migration automnale qui s’étend sur près de 5 000 kilomètres, ce papillon a lui aussi besoin de faire le plein d’énergie. La seule différence réside dans le type de carburant dont il a besoin : le nectar provenant de fleurs.
Je suis étudiante de cycle supérieur à l’Université d’Ottawa et j’étudie l’utilisation des habitats par le monarque, en collaboration avec Environnement et Changement climatique Canada et Conservation de la nature Canada (CNC). Bien que je me sois toujours intéressée à l’écologie animale, je n’avais jamais travaillé avec des pollinisateurs auparavant. L’été dernier, sur le terrain, j’ai beaucoup appris sur les monarques, leurs comportements et leurs habitats.

Le monarque, une espèce de papillon en voie de disparition, doit accumuler des réserves de graisse pour pouvoir effectuer sa migration du Canada et des États-Unis vers le Mexique. En moyenne, un monarque pèse 0,5 gramme, soit moins qu’un raisin sec ou un trombone, et a besoin d’accumuler environ 0,1 gramme de graisse corporelle (20 % de son poids corporel). Pour y parvenir, il se nourrit du nectar des fleurs, et ce, surtout avant le début de sa migration. Malheureusement, la destruction, la dégradation et la fragmentation des habitats causées par l’activité humaine ont eu un impact négatif sur les populations de monarques : au cours des 20 dernières années, on a observé un déclin de 80 % des populations de monarques dans l’est de l’Amérique du Nord. Les habitats situés dans le sud de l’Ontario, et plus particulièrement aux abords des Grands Lacs, constituent leur principale aire de reproduction au Canada. Sans eux, les monarques auraient du mal à se reproduire et à accumuler les réserves de graisse nécessaires à leur migration.
Voilà pourquoi le travail de CNC est aussi important. Au cours des 20 dernières années, CNC a restauré des habitats naturels dans d’anciens champs agricoles et des terres modifiées dans le comté de Norfolk, dans le sud de l’Ontario. Ce travail incluait notamment la plantation de fleurs sauvages indigènes dont les monarques ont besoin, comme la rudbeckie trilobée et la monarde fistuleuse, de même que l’asclépiade, la seule plante sur laquelle les monarques peuvent pondre leurs œufs. Tout ce travail de conservation a permis de préparer le terrain pour nos recherches.

Nous cherchons à savoir si certains aspects de ces sites restaurés les rendent particulièrement attrayants pour les monarques, comme leur taille ou la quantité de fleurs et d’asclépiades présentes, et combien de temps les monarques sont restés sur un site restauré. Nous nous demandons aussi où vont les monarques après avoir quitté ces sites au cours de leur migration vers le sud : longent-ils la rive du lac Érié ou traversent-ils directement le lac? Ces types de questions permettent de mettre à l’épreuve le travail de conservation et de l’orienter, notamment en déterminant comment et où protéger et restaurer l’habitat du monarque pour en maximiser l’impact.
Pour répondre à notre première question, j’ai passé l’été dernier à réaliser des relevés sur le terrain dans le comté de Norfolk. J’ai utilisé des méthodes standardisées pour observer comment les monarques se nourrissent et j’ai méticuleusement identifié et compté des milliers de fleurs et de tiges d’asclépiades. Tous les sites que nous avons étudiés abritaient des monarques, ce qui était très encourageant. C’était un emploi d’été de rêve pour moi : être debout dans des champs de fleurs et observer des papillons!
Pour déterminer combien de temps les monarques demeurent dans une parcelle d’habitat, nous leur avons apposé des balises BluMorpho Bluetooth novatrices. Ces dernières ne pèsent que 0,06 gramme (moins qu’un grain de riz) et sont fixées entre les ailes du monarque. Il s’agit d'une toute nouvelle technologie, et nous sommes parmi les seuls à en faire usage au Canada. Malheureusement, les monarques portant des balises se sont éloignés des sites visés par nos recherches beaucoup plus rapidement que prévu, ce qui a rendu difficile le suivi de leurs déplacements à l’échelle locale. Toutefois, les balises ont continué à nous être utiles.

Nous avons aussi essayé d'utiliser les étiquettes pour répondre à notre deuxième question : est-ce que les monarques contournent le lac Érié ou le traversent directement pendant leur migration? Nous avons apposé des balises Bluetooth BluMorpho sur 39 monarques présents à l’extrémité de Long Point. Ces papillons ont été capturés à l'aide d’un filet alors qu’ils volaient au-dessus des fleurs ou s’y posaient pour se nourrir. À proximité, deux tours de surveillance devaient détecter automatiquement le passage des papillons, ce qui nous aiderait à cartographier leurs déplacements. Malheureusement, l’une des tours a eu un problème, ce qui a limité la quantité de données qu’on a pu collecter. Voilà un exemple concret de ce qui peut se produire lors de recherches sur le terrain! Les choses ne se passent pas toujours comme prévu et il est essentiel d’apprendre à s’adapter.
Cet automne, nous allons nous rendre à nouveau à Long Point pour apposer des balises sur d’autres monarques. Cette fois-ci, nous allons redoubler de précautions pour nous assurer que l’équipement fonctionne comme il se doit. Nous avons aussi installé quatre autres tours de surveillance en collaboration avec nos partenaires d’Oiseaux Canada, ce qui nous permettra de savoir avec plus de précision dans quelle direction les monarques volent, et ce, sur un territoire plus vaste.
Beaucoup d’efforts sont déployés pour protéger les monarques à travers l’Amérique du Nord. J’ai passé la dernière à étudier comment restaurer l’habitat des monarques, et au cours de la prochaine, j’évaluerai où ce travail de restauration devrait être effectué. Même à 5 000 kilomètres de distance, ces papillons nous rappellent combien leur protection est vitale. La prochaine fois que vous verrez un monarque se nourrir sur une fleur, j’espère que vous penserez aussi à l’importance de contribuer à la restauration d’habitats de même qu’a leur valeur écologique, petits et grands. Chaque parcelle compte!