Améliorer nos connaissances pour mettre fin au conflit qui oppose les besoins en développement et la nature
Gaff Point, N.-É. (Photo Andrew Herygers/CNC)
Lettre d'opinion
Par Richard Schuster, directeur de la planification spatiale et de l’innovation à Conservation de la nature Canada
Nos vies dépendent de la nature. L’eau que nous buvons, l’air que nous respirons, les expériences vécues en plein air... c’est grâce à la nature que tout cela est possible. Mais qu’adviendra-t-il de ces services écologiques au fur et à mesure que les besoins mondiaux en ressources évolueront et que le rythme des changements climatiques s’accélérera?
En janvier, des collègues et moi avons fait paraître dans Nature Communications une étude [en anglais] démontrant qu’à l’échelle mondiale, près d’un tiers des zones prioritaires pour la conservation de la biodiversité (une superficie comparable à celle de l’Amérique du Nord) présentent aussi un intérêt pour le secteur industriel et pour le développement humain. Cela est source de conflits potentiels entre les objectifs en matière de conservation, de climat et de développement.
Il est difficile de saisir l’ampleur de ce défi lorsque l’on se trouve sur le terrain et que l’on voit de près le cours d’une rivière, la croissance des fleurs, et des animaux en déplacement. Un peu de recul permet toutefois d’y voir plus clair.
Milieu de prairie, Man. (Photo de CNC)
Les images satellitaires, les études de longue durée et les savoirs locaux et autochtones ont révélé que la nature disparaissait ou subissait des modifications importantes à un rythme alarmant. Par exemple, plus de 80 % des prairies indigènes de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba ont disparu, de même que plus de 70 % des milieux humides du sud du Canada; nos activités ont donc eu des répercussions considérables sur la nature. Alors, comment rééquilibrer notre relation avec le territoire? Comment conserver les espèces, les terres et les eaux, tout en s’assurant que la population dispose de l’espace, de la nourriture et des ressources dont elle a besoin? Grâce à la technologie, nous découvrons de nos jours de nouvelles façons de comprendre notre monde.
Conservation de la nature Canada (CNC) et des scientifiques de l’Université Carleton, en Ontario, ont mis au point un outil numérique d’aménagement du territoire qui tient compte de l’aire de répartition des espèces, des bienfaits de la biodiversité, du potentiel de stockage de carbone et de nombreux autres facteurs qui peuvent générer un maximum de retombées.
La protection de l’habitat d’une espèce en voie de disparition, comme la tortue ponctuée, vous intéresse? De nouvelles technologies en matière de mise en correspondance des données peuvent aider à cibler vos efforts en cartographiant l’aire de répartition de cette espèce en un seul clic. Mais ce n’est pas tout. Notre outil permet d’ajouter à cette carte concernant la tortue ponctuée des couches d’informations telles que l’aire de répartition d’autres espèces en péril, les puits de carbone, les sources d’eau potable et des activités liées au développement humain. En voyant où tous ces éléments peuvent se recouper, nous pouvons ensuite attribuer à l’outil un budget de conservation et lui poser la question suivante : comment pouvons-nous utiliser nos ressources de conservation le plus efficacement possible?
Tortue ponctuée (Photo de John Mitchell, Figment Films)
Grâce à la qualité des données et à la puissance de cette technologie, les modèles d’aménagement du territoire, qui demandaient autrefois des heures, voire des jours de travail aux équipes responsables de la planification de la conservation, peuvent désormais être élaborés en moins de temps qu’il en faut pour se préparer une tasse de café.
Bien entendu, il faut en faire plus, car lorsqu’il est question de conservation des terres, il faut comprendre qu’aucune espèce ni aucun processus naturel ne sont indépendants les uns des autres. La nature est peut-être observable à partir de satellites et de cartes, mais c’est sur le terrain qu’il est possible d’en faire réellement l’expérience. C’est en étant à l’écoute des savoirs autochtones, en reconnaissant les liens profonds qu’entretiennent les gens avec le territoire et en impliquant les collectivités dans la prise de décisions liées à la conservation que l’on s’aperçoit rapidement à quel point tout est interconnecté.
C’est aussi en utilisant des outils comme les nôtres, conjointement avec les savoirs locaux et autochtones, que nous pouvons efficacement cibler les milieux naturels qui, une fois conservés, fournissent des bienfaits cumulés aux populations et à la nature. Nous pouvons aussi modéliser et mieux comprendre différents scénarios et les impacts futurs d’activités comme le travail de restauration et la conversion de milieux humides, les nouveaux développements et le rétablissement d’espèces, le tout dans le contexte d’un climat en constante évolution. De cette manière, les collectivités peuvent faire des choix éclairés et en toute transparence relativement aux liens qu’elles entretiennent avec les terres et les eaux qui les entourent.
Dans un contexte où la nature et les collectivités sont confrontées aux menaces de plus en plus pressantes que représentent le déclin de la biodiversité et les changements climatiques, plus nous parviendrons à restaurer, conserver et gérer durablement les écosystèmes, mieux nous pourrons contribuer à renforcer la résilience de la nature et des collectivités.
Trouver le juste milieu entre le développement et les besoins de la nature
Les savoirs locaux et autochtones nous enseignent non seulement que nous pouvons coexister avec la nature, mais aussi que nous devons le faire. C’est aussi ce que nous montrent nos nouveaux outils de modélisation. Par exemple, des collègues et moi avons récemment utilisé des technologies d’aménagement du territoire pour démontrer comment la protection de l’habitat de pollinisateurs indigènes [en anglais] situé à proximité de terres agricoles au Canada peut en fait accroître le rendement, ce qui se traduit par des bienfaits qui profitent à la fois aux populations et à la nature, renforcent la sécurité alimentaire à l’échelle régionale, soutiennent des espèces indigènes et créent des débouchés économiques. Et ce n’est qu’un début.
Yarrow Creek, Alb. (Photo Sean Feagan/CNC)
Toutefois, si en théorie il est bien de savoir quoi faire, c’est une tout autre chose que de passer à l’action sur le terrain. C’est pourquoi il est nécessaire que nos partenaires décisionnels d’à travers le pays utilisent ces outils dans leur travail d’aménagement du territoire, afin que nous puissions conserver les sites qui profiteront le plus aux espèces, à la nature et aux collectivités. En collaborant avec des communautés locales et autochtones, nous pourrons déterminer comment ces outils peuvent contribuer à l’atteinte de nos objectifs communs. Ce faisant, la prise de décisions difficiles pourra se faire de manière transparente, responsable, accessible et hautement informée par de multiples formes de savoir.