Le contrôle des espèces envahissantes : un défi de taille
Renouée du Japon (Photo Paula Noel/CNC)
Par Margo Morrison, directrice de l’intendance au sein de l’équipe Politiques et planification en conservation de Conservation de la nature Canada (CNC)
Depuis la fin des années 1990, je passe mes vacances estivales aux abords du Wolastoq [nom du fleuve Saint-Jean dans la langue des Malécites], au Nouveau-Brunswick. Ses berges abritent une variété de végétaux et d’animaux typiques à cette région, y compris une variété d'herbes, de carex et d'érables, et même de l’herbe à puce. Il y a environ 15 ans, j’ai remarqué que cette diversité avait été remplacée par une espèce envahissante agressive appelée renouée du Japon. Elle a envahi les berges d’une petite crique qui se jette dans le Wolastoq pour se répandre rapidement dans cet important habitat.
Pour freiner ou atténuer la perte d’écosystèmes et de biodiversité, le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal a relevé 23 cibles axées sur l’action incitant à agir d’urgence d’ici 2030. La cible 6 du Cadre consiste à réduire les taux d’introduction des espèces exotiques envahissantes d’au moins 50 % et d’atténuer au minimum les répercussions. Conscient de la menace que représentent les espèces envahissantes pour nos aires naturelles, Conservation de la nature Canada (CNC) collabore avec le Conseil canadien sur les espèces envahissantes (CCEE) et les conseils provinciaux sur les espèces envahissantes afin de protéger le Canada des conséquences engendrées par ces espèces.
Comment CNC gère-t-il les espèces envahissantes?
Comme le CCEE, CNC adopte une approche à plusieurs volets pour gérer les espèces envahissantes et enrayer les problèmes avant qu’ils se manifestent, notamment en appliquant des directives de restauration stratégique et en collaborant avec des chercheurs et chercheuses pour mieux comprendre comment ces espèces se propagent. Afin d’assurer l’efficacité des efforts de CNC à l’échelle des paysages et de contribuer à leur résilience, nous ciblons des sites où la gestion des espèces envahissantes est la plus bénéfique.
Dans des endroits comme le milieu humide de Lincoln près de Fredericton (N.-B,), CNC a mis à la disposition des visiteurs et visiteuses des brosses à bottes, qui sont un moyen efficace de déloger toutes graines d’espèces envahissantes potentielles avant de s’aventurer dans les sentiers ou de quitter le site. (Photo Jennifer White/CNC)
L’intention première est de couper l’herbe sous le pied des espèces envahissantes avant qu’elles se propagent. Grâce aux directives d’organismes tels que le CCEE, CNC emploie des protocoles sur le terrain qui éliminent ou réduisent les voies d’établissement et de propagation des espèces envahissantes.
Si des espèces envahissantes se sont déjà développées dans des habitats, CNC et ses partenaires peuvent recourir à différentes techniques de gestion pour réduire leur nombre ou les éradiquer dans des zones prioritaires en vue de protéger la santé des écosystèmes. Le contrôle du roseau commun (ou phragmite) en Ontario est l’un des meilleurs exemples de tout ce que peuvent accomplir les organismes de conservation, les gouvernements et les partenaires financiers lorsqu’ils unissent leurs forces. Au cours des 7 dernières années, CNC et ses partenaires ont réussi à traiter 2 200 hectares de roseau commun dans la région de Long Point, un lieu composé de milieux humides côtiers de renommée internationale totalisant 6 000 hectares, situé sur le lac Érié. Cette pointe de terre avait été massivement envahie par le roseau commun, ce qui menaçait les espèces en péril, la faune migratoire et les activités économiques et récréatives.
Le succès retentissant de ce programme d’éradication a fourni un exemple éprouvé de ce qui peut résulter d’une conservation collaborative à l’échelle des terres, menant aussi à l’élaboration d’une stratégie provinciale de gestion du roseau commun en Ontario chapeautée par le ministère des Richesses naturelles de l’Ontario, CNC et l’Invasive Species Centre.
Quels changements doit-on implanter pour surmonter les difficultés?
Malgré les nombreuses histoires inspirantes sur la suppression réussie d’espèces envahissantes (grâce à des agents de contrôle biologique, à des partenariats ou à l’augmentation des mesures préventives de la propagation), une difficulté demeure : veiller à ce que la gestion des espèces envahissantes soit menée sur des sites où elle aura le plus d’effets sur la résilience du paysage. Autrement dit, il faut investir nos ressources limitées de manière stratégique. Pour ce faire, nous utilisons des outils de planification pour déterminer les zones à cibler.
Lorsqu’on veut gérer les espèces envahissantes, il faut surtout se concentrer sur les paysages forts et en santé et, lorsque possible, s’efforcer de prévenir leur établissement et leur propagation. Une fois qu’une espèce envahissante s’est établie, son élimination devient plus coûteuse et peut nécessiter plusieurs visites pour arriver à s’en débarrasser complètement. De plus, sa présence nous force à utiliser des directives, comme des pratiques exemplaires de gestion et des données probantes (sous toutes les formes de savoir) reconnues, pour déterminer les situations où une suppression de l’espèce envahissante est nécessaire ou la meilleure option pour soutenir la résilience des paysages.
Par ailleurs, l’élaboration de mécanismes de gestion efficace des espèces envahissantes peine toujours à progresser; des recherches externes sont nécessaires pour déterminer les méthodes de prévention et de contrôle les plus efficaces. Même s’il reste des lacunes dans l’information présentée, un rapport de l’IPBES fournit des ressources pour appuyer la prise de décision et la pratique de même que des outils et des mesures ciblées pour s’attaquer aux espèces envahissantes.
En outre, puisque la gestion des espèces envahissantes est étroitement liée à la restauration d’un paysage, il nous faut tout de même mieux évaluer l’incidence des mesures de gestion et des efforts de restauration. Au-delà de la mesure du succès de la manœuvre selon la zone traitée, il faut évaluer l’efficacité des efforts de prévention et de restauration et collaborer avec des partenaires sur les mesures prioritaires à adopter.
Pour mettre un frein à la propagation d’espèces envahissantes dans tous les territoires, il faut la prévenir en mobilisant des ressources supplémentaires pour appuyer le respect et l’application des règlements existants.
Que peut-on apprendre des autres œuvrant dans ce secteurs, au Canada et dans le monde?
Nous réfléchissons constamment au fait que la prévention et l’éradication efficaces des espèces envahissantes peuvent grandement progresser par l’entremise d’une mise à profit respectueuse du savoir, des points de vue et des stratégies de gestion autochtones. La participation des peuples autochtones doit être soutenue lors des réunions décisionnelles sur la législation et les plans d’intervention. Les solutions doivent impliquer les gouvernements autochtones (comme détenteurs de droits) et refléter l’engagement d’autres groupes (p. ex., ONG et secteur de la conservation) essentiels à la mise en place d’une gestion efficace des espèces envahissantes, afin de mieux soutenir une stratégie qui mobilise l’ensemble de la société.
Tout le monde a un rôle à jouer
Au bout du compte, un fait demeure en ce qui a trait aux espèces envahissantes : la prévention est la méthode la plus abordable et la plus efficace. La prévention de leur propagation ou de leur établissement est une responsabilité collective. CNC maintient son engagement à contrôler les espèces envahissantes avec pragmatisme, en utilisant les meilleures données disponibles pour équilibrer son approche. Nous aimerions connaître votre avis. Quelles stratégies employez-vous pour gérer les espèces envahissantes?
Biographie de Margo Morrison
Margo Morrison est directrice de l’intendance au sein de l’équipe Politiques et planification en conservation de Conservation de la nature Canada (CNC). Depuis son arrivée à CNC en 2004, elle consacre la majeure partie de son mandat à soutenir les activités de conservation au Canada atlantique à titre de directrice de la conservation. Dans son rôle actuel, Margo dirige l’élaboration de directives pour l’intendance des terres, dans le but d’améliorer les priorités de gestion des terres qui appuient la résilience des paysages et favorisent les liens des humains avec la nature.
Originaire d’Ottawa, Margo a déménagé au Nouveau-Brunswick pour entreprendre un baccalauréat en foresterie et gestion environnementale avec mineure en systèmes d’information géographiques (SIG). Elle est d’ailleurs forestière professionnelle agréée au Nouveau-Brunswick. Margo habite actuellement à Fredericton avec son mari et ses deux filles. Dans ses temps libres, elle aime profiter de la vie au chalet familial sur les rives du Wolastoq [nom du fleuve Saint-Jean dans la langue des Malécites].
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