Restaurer la nature à grande échelle
Réserve naturelle Hazel Bird, Ont. (Photo Chelsea Marcantonio/CNC)
Par Mark Stabb, directeur de programmes dans le Centre-Est de l’Ontario
« On peut faire quelque chose de grand ici ».
C'est ce que j’ai pensé au printemps de 2011 devant les collines sablonneuses de ce qui allait devenir la réserve naturelle Hazel Bird, en Ontario. Je travaillais depuis plusieurs années pour Conservation de la nature Canada (CNC) et cette propriété avait été déterminée comme étant un projet de conservation prometteur. Bien qu'envahie par le pin sylvestre, la centaurée et d'autres espèces envahissantes, cette terre présentait encore des vestiges d'un paysage de prairie à herbes hautes.
CNC a acquis la propriété et a immédiatement donné le coup d'envoi à des années de travaux de restauration stratégiques et continus menés par le personnel et les bénévoles de CNC, à l’aide de techniques qui évoluèrent au fil du temps.
Les herbes hautes, les plantes ligneuses indigènes et les fleurs sauvages sont depuis revenues et se sont développées, tout comme la faune et la flore qui en dépendent. Alors que les travaux se poursuivent, la nature révèle lentement et discrètement notre succès, avec le retour d'espèces dépendant des prairies et des savanes, telles que la maubèche des champs (un oiseau) et l'hespérie tachetée, une espèce de papillon menacée.
Réserve naturelle Hazel Bird, Ont. ((Photo Chelsea Marcantonio/CNC)
La propriété Hazel Bird a été acquise dans le contexte d’un projet de restauration collaboratif à l'échelle du paysage. CNC a développé et partagé sa vision pour restaurer des milliers d'hectares de prairie à hautes herbes et de savane de chênes, un paysage rare à l’échelle mondiale. Ainsi, depuis 2002, CNC a aidé à diriger le Rice Lake Plains Partnership (RLPP), une coalition de propriétaires privés, de la Première Nation d'Alderville, de groupes de conservation et d'agences gouvernementales qui se sont unis pour protéger et restaurer les plaines du lac Rice.
CNC vise à identifier et à améliorer les écosystèmes à herbes hautes historiques qui sont maintenant fragmentés dans cette région. Il souhaite aussi rallier la population pour qu’elle contribue à la réalisation de ces objectifs. Les plaines du lac Rice incarnent le type de réflexion et d'action collective nécessaires en restauration de milieux naturels pour faire face à la double crise des changements climatiques et de la perte de biodiversité.
Une réponse sur le terrain à un défi mondial
L'objectif 2 du Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal est de restaurer 30 % de tous les écosystèmes dégradés, en veillant à ce que, d'ici à 2030, au moins 30 % des écosystèmes terrestres, des eaux intérieures, côtières et marines dégradées fassent l'objet d'une restauration efficace.
Ali Giroux, ex-coordonnatricen biologie de la conservation, Plantation d'arbres indigènes après l'extraction de pins sylvestres envahissants, Réserve naturelle Hazel Bird, Ont. (Photo de Chelsea Marcantonio/CNC)
CNC a recours à la restauration pour stopper ou inverser les menaces qui pèsent sur la perte de biodiversité et pour atteindre les objectifs mondiaux en matière de conservation. Il y a urgence, car nous sommes à mi-parcours de la Décennie des Nations unies pour la restauration des écosystèmes (2021-2030), un appel lancé au monde entier pour que soient prises des mesures contre la dégradation des écosystèmes.
Les écosystèmes sains soutiennent la biodiversité et fournissent des services qui nous sont essentiels : filtrage de l'eau, élimination de la pollution et stockage du carbone. Le Cadre de restauration de CNC guide comment nous veillons sur la santé des écosystèmes pour favoriser un monde prospère pour la nature et la population. Ses principes directeurs visent à garantir des pratiques écologiques efficaces, efficientes, engageantes et équitables.
La restauration de l'habitat dans les plaines du lac Rice n'est qu'un exemple de l'évolution de l'approche de CNC en matière de conservation. Nous pensons au-delà de la propriété. En nous intéressant à des paysages plus vastes, CNC peut s'attaquer aux processus écologiques et aux menaces qui opèrent à des échelles plus larges. D'autres grands projets collectifs comprennent le Plan d'action pour la conservation des Prairies et la lutte concertée contre le roseau commun envahissant dans le sud de l'Ontario.
Avant et après les brûlages dirigés, Réserve naturelle Hazel Bird, Ont. (Photo CNC)
L'approche vise à créer des écosystèmes connectés et résilients grâce à l'intendance exemplaire des projets de CNC et au soutien stratégique des travaux de conservation effectués avec des partenaires et des propriétaires fonciers privés. Nous devons aller au-delà des projets individuels de CNC et prendre en compte le paysage dans son ensemble pour garantir la santé écologique à long terme.
Avoir recours au bon outil au bon endroit est un élément important de la planification de la restauration. Cela peut parfois signifier l’application ciblée d'herbicides pour lutter contre des plantes envahissantes. Le personnel de CNC est formé pour ce genre de travail et les meilleures pratiques sont respectées afin de n'utiliser que les niveaux approuvés pour les espèces envahissantes d’une zone en particulier. CNC pratique les brûlages dirigés dans les habitats de prairie et de savane, y compris dans les plaines du lac Rice, pour favoriser la croissance et le retour d’espèces indigènes. Notre approche fondée sur des données probantes nous permet de travailler efficacement et de faire une différence pour ces écosystèmes.
La science de l'espoir
Pour les travaux de restauration, la persévérance et la patience sont de mise. Il peut s'écouler des années, dans certains cas une décennie ou plus, avant que le dur labeur ne porte ses fruits. Une fois qu'un habitat naturel est rétabli, il faut encore investir pour en assurer le succès. Il est essentiel que nous nous projetions dans l'avenir et que nous nous assurions d’avoir les ressources nécessaires pour poursuivre ces projets au-delà de la phase initiale.
Un collègue m'a dit un jour avec sagesse que le travail de restauration était « la science de l'espoir ». Je sais qu'il y a de l'espoir quand le personnel qui travaillent sur le terrain un peu partout au pays observe une espèce comme la maubèche des champs (un oiseau) ou la l’hespérie tachetée (un papillon) qui est revenue dans l'habitat restauré. Et j'espère que ces sites si spéciaux et exemplaires donneront également de l'espoir à d'autres. Ensemble, nous pouvons faire une différence pour la planète!
Réserve naturelle Hazel Bird, Ont. (Photo de CNC)
Ce n'est pas seulement le dévouement du personnel de terrain de CNC qui rend cela possible. Nous apprenons aussi des communautés autochtones. Le personnel de CNC a en effet eu la chance de se faire des amis, de trouver des mentors et des allié(e)s au sein de la Première Nation d'Alderville, dont le projet de savane de chênes des teinturiers d'Alderville a été une source d'inspiration et une lumière qui nous a guidés dès le premier jour. Les partenaires de la conservation, les bénévoles, les donateurs, les donatrices, l'industrie et le gouvernement alimentent littéralement les feux de la collaboration qui est essentielle à la réussite de ces projets de restauration.
Ce n'est peut-être pas parfait, mais quand je retourne au belvédère de la réserve naturelle Hazel Bird, je vois un paysage qui est passé d'une mer de pins sylvestres et de centaurées à une prairie d'herbes hautes et à une savane de chênes en santé. Je me sens encouragé, reconnaissant et plein d'espoir. Pendant que le travail se poursuit, je constate déjà les changements qui se sont produits. Ensemble, nous avons vraiment fait quelque chose de grand!