Les brûlages dirigés, un outil au service des prairies et des espèces qui y vivent
Wapiti, Alb. (Photo CNC)
Plus de 80 % des prairies du Canada ont disparu, et ce qui en subsiste risque de disparaître pour toujours. Au cours de milliers d’années, les prairies se sont adaptées pour faire face à un large éventail de perturbations naturelles comme les inondations, les sécheresses, la présence de troupeaux de bisons et les feux de végétation. Les espèces des prairies dépendent de ces perturbations et, dans de nombreux cas, connaissent un déclin, et peuvent même disparaître sans elles. Le feu est un puissant outil utilisé dans le processus de régénération d’écosystèmes comme les prairies, car il élimine l’ancienne végétation pour permettre à la vie de prospérer à nouveau.
Pour un œil non averti, il peut être difficile de faire la distinction entre un brûlage dirigé et un feu de végétation, surtout si l’on se trouve à une certaine distance. Ils peuvent tous deux produire une quantité importante de fumée, de flammes et visiblement modifier le paysage.
Julie Sveinson Pelc, responsable du programme de brûlage dirigé et commandante d’intervention à Conservation de la nature Canada (CNC), a plus de 20 ans d’expérience en gestion de feux de végétation. Elle insiste sur la différence entre les deux.
« Un brûlage dirigé est un feu allumé intentionnellement à un endroit prédéterminé, dans des conditions rigoureusement contrôlées, dans le but de restaurer l’habitat indigène, explique-t-elle. Les feux de végétation ne sont ni planifiés ni contrôlés, ils produisent souvent des résultats imprévisibles et peuvent avoir un impact dévastateur sur la vie humaine. »
Les colons européens sont arrivés et ont passé le siècle suivant à se concentrer sur la prévention des incendies, ce qui a eu pour effet de réduire le nombre d’années entre les incendies qui se déclaraient au sein de la majorité des paysages. Cette absence d’incendie a entraîné une perte progressive de l’habitat de prairies, à mesure que les arbres et les arbustes empiétaient sur les prairies historiques.
Pour les espèces qui dépendent de prairies en santé et diversifiées, comme les pollinisateurs, le tétras à queue fine et le wapiti, les brûlages dirigés peuvent créer les espaces ouverts et riches en biodiversité dont elles ont besoin pour prospérer.
Kale Cohen, assistant en biologie de la conservation à CNC, et membre de son équipe responsable des brûlages dirigés, explique comment sa compréhension de la gestion des terres a été façonnée par ses expériences avec le feu.
« Comme n’importe quel outil, le feu peut causer de graves dommages ou générer d’importants bienfaits, explique-t-il. J’aime le défi et la responsabilité que représente le fait de s’assurer que nous contribuons à créer un maximum de bienfaits en y ayant recours. »
Alors que les effets des changements climatiques se font de plus en plus sentir, on s’attend à ce que les feux de végétation deviennent plus intenses et plus fréquents. Ces phénomènes météorologiques extrêmes peuvent avoir des conséquences directes sur la population, y compris sur le plan de la santé, des habitations et des collectivités.
Les brûlages dirigés ne sont jamais réalisés dans des conditions de danger d’incendie extrême, où la végétation s’enflamme facilement et se propage rapidement, ce qui rend le feu difficile à maîtriser. On y a recours pour gérer et restaurer les processus naturels d’une zone spécifique. Ces feux de végétation sont soigneusement maîtrisés, dans des conditions environnementales bien précises.
Avant même d’allumer le feu, il y a un grand travail de planification à effectuer. Ce processus commence par la création d’un plan, qui détaille le lieu, les raisons et les modalités du brûlage dirigé. Il comprend aussi une prescription qui précise les conditions météorologiques, y compris la température, l’humidité relative, la direction et la vitesse du vent, ainsi que la teneur en eau de la végétation et des matières organiques. On y trouve aussi des informations sur le nombre de personnes, la formation et les équipements nécessaires pour mener à bien le brûlage, du matériel pour communiquer avec la collectivité environnante et un plan d’urgence dans le cas très peu probable où l’incendie se propagerait.
Une fois que le brûlage terminé, la zone visée est surveillé de près pour contenir le feu avant de pouvoir le déclarer comme éteint. Cela implique notamment d’éteindre les flammes actives, les points chauds et les zones où de la fumée se dégage encore, et ce, tant et aussi longtemps que nécessaire pour assurer le contrôle de l’incendie.
Lorsque le recours à un brûlage dirigé est jugé inapproprié, d’autres outils peuvent être utilisés pour améliorer la santé des prairies, comme le pâturage de bétail ou le fauchage. Ces méthodes de rechange peuvent être utilisées pour générer certains des bienfaits que le brûlage dirigé aurait apportés.
Les différents microclimats, l’humidité et la diversité de la végétation au sein d’une même zone ont une incidence sur la manière dont le feu se comportera. Ainsi, le feu pourrait par exemple contourner une zone d’ombre entourant un arbre, où le sol est humide et frais. Ces variations permettent de créer une mosaïque d’habitats, ce qui favorise la présence d’une diversité d’espèces.
En 2023, l’équipe responsable des brûlages dirigés de CNC au Manitoba a connu son année la plus fructueuse. Dans le but de restaurer les prairies de manière efficace et à l’échelle du paysage, des investissements ont été faits pour augmenter la capacité des équipes d’incendie, ce qui nous a permis de procéder au brûlage de plus de 280 hectares dans la région de l’aire naturelle de la prairie à herbes hautes. Ce succès se poursuit cette année dans le sud du Manitoba
Au printemps 2024, des brûlages dirigés ont été effectués sur 285 hectares supplémentaires. On prévoit que 260 autres hectares seront brûlés cet automne et que cette année se classera parmi les cinq meilleures en termes de nombre d’hectares brûlés depuis les trois décennies d’expérience que compte CNC dans le domaine au Manitoba.
Les brûlages dirigés nous permettent de continuer à restaurer des paysages résilients, qui jouent un rôle vital pour la nature et la population dans la lutte contre la double crise que représentent les changements climatiques et la perte de biodiversité.
Ce projet a été financé par le Fonds de mise en valeur du poisson et de la faune et le gouvernement du Manitoba. Le Manitoba Habitat Conservancy (MHC) administre le Fonds de mise en valeur du poisson et de la faune au nom du gouvernement du Manitoba. Pour en savoir plus, visitez le https://www.mhhc.mb.ca/fwef/. (en anglais)
Avec le soutien financier de la Weston Family Prairie Grassland Initiative.
Avec le soutien du Groupe Banque TD.