La benoîte de Peck : une véritable sentinelle
Le tiers de la population de benoîte de Peck de la Nouvelle-Écosse pousse à la réserve naturelle de l'île Brier de CNC (Photo Brainworks)
Petite plante à fleurs jaunes présente aux confins de la Nouvelle-Écosse, la benoîte de Peck y pousse au bord des tourbières de l’île Brier, qui baigne dans les eaux de l’Atlantique et constitue l’endroit le plus à l’ouest de la province. Cette membre de la famille des roses peut atteindre 40 centimètres de hauteur et fleurit de juin à septembre.
La benoîte de Peck est l’une des espèces les plus menacées au Canada et ne pousse qu’à deux endroits sur la planète. Les deux tiers de sa population mondiale se trouvent dans les prairies alpines des montagnes Blanches du New Hampshire. Le dernier tiers pousse en bordure des milieux humides du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, sur l’île Brier et sur l’isthme de Digby. La fleur s’est probablement répandue en Nouvelle-Écosse après la dernière période glaciaire, avant l’élévation du niveau de la mer, se déplaçant vers le nord-est le long des Appalaches pendant la fonte des glaces. Quand la baie de Fundy s’est remplie d’eau, les deux populations ont été séparées.
Collecte de graines sur l'île Brier, N.-É. (Photo Alain Belliveau, Université Acadia)
Un tiers de la population de benoîte de Peck de la Nouvelle-Écosse se trouve à la réserve naturelle de l’île Brier de Conservation de la nature Canada (CNC). Malheureusement, le plus vaste habitat de l’espèce, la tourbière Big Meadow, a été perturbé dans les années 1950. Il y a plusieurs dizaines d’années, des propriétaires fonciers ont tenté de drainer la zone à des fins agricoles. Ils n’ont pas réussi, mais la tourbière a perdu une grande partie de son humidité d’origine.
« La tourbière est devenue plus sèche et les conditions n’étaient plus favorables à la benoîte de Peck », explique Doug van Hemessen, responsable de l’intendance à CNC en Nouvelle-Écosse. L’organisme a acquis la réserve naturelle de l’île Brier en 1988 et participe depuis aux efforts en vue de rendre à la tourbière ses caractéristiques hydrologiques originelles. Diverses organisations œuvrent de concert pour cette cause, notamment Environnement et Changement climatique Canada, l’Institut de recherche Mersey Tobeatic, le Fern Hill Institute for Plant Conservation, l’Université Acadia, l’Université St. Francis Xavier et des gens de la région.
En plus de prendre part aux projets de restauration de l’habitat, des chercheurs de l’Université Acadia se sont familiarisés avec la benoîte de Peck. Celle-ci fait d’ailleurs partie des nombreuses espèces conservées par la banque de semences de l’université, l’une des deux banques de semences des Maritimes.
Fleurs cultivées en laboratoire replantées à Long Island, près de l'île Brier, N.-É. (Photo Robin Browne, Université Acadia)
La banque de semences de l’Université Acadia se trouve au K.C. Irving Environmental Science Centre de l’Université d’Acadia, au E.C. Smith Herbarium et aux Harriet Irving Botanical Gardens. Elle conserve plus de 350 espèces et des millions de semences. Comme l’explique Alain Belliveau, responsable de la collection Irving Biodiversity, la banque de semences a trois objectifs interdépendants : la préservation, la recherche et le rétablissement. La banque collecte des semences d’espèces menacées d’extinction, dans l’espoir d’avoir, si nécessaire, les moyens de les préserver et d’en assurer le rétablissement dans la région. Tout cela ne peut se faire que grâce à la recherche.
« Plus nous ferons de recherches, mieux nous comprendrons ces espèces et serons en mesure de les protéger à l’état sauvage. »
Les chercheurs de la banque de semences de l’Université Acadia ont commencé à s’intéresser à la benoîte de Peck en 2012. Les graines ont été collectées à différents endroits de l’île de Brier, sur plusieurs années, afin de garantir que les échantillons soient représentatifs de la diversité génétique de la plante. Comme la plupart des espèces de la banque de semences, les graines ont été nettoyées par des étudiant(e)s bénévoles et soigneusement entreposées dans un congélateur, où elles resteront viables pendant des centaines d’années.
C’est alors qu’elle était étudiante bénévole que Sarah Hines a fait la connaissance de la benoîte de Peck. Plus tard, elle est revenue à la banque de semences de l’Université Acadia en tant que responsable de la recherche au Centre K.C. Irving et coordonnatrice de la bourse Irving. Elle a aidé à cultiver et à propager les graines collectées au centre de recherche de l’université. Après avoir démontré que ces vivaces pouvaient survivre quelques années en laboratoire, elles ont été plantées sur l’île Long, voisine de l’île Brier. Les conditions y sont similaires à celles qui prévalent sur l’île Brier, bien que la benoîte de Peck n’y ait jamais poussé naturellement. Douze ans après le début des recherches, la benoîte de Peck est devenue la première espèce végétale menacée de Nouvelle-Écosse à survivre à l’état sauvage après avoir été cultivée à partir de graines stockées sur de longues périodes.
La benoîte de Peck, l'une des plantes les plus menacées au Canada (Photo Alain Belliveau, Université Acadia)
« Ce que nous avons fait est tout à fait unique, car nous avons prouvé que nous pouvions avoir un “plan en cas de catastrophe” pour maintenir la diversité génétique », explique Mme Hines. Si la benoîte de Peck venait à disparaître en raison du changement climatique, de la perte d’habitat ou d’autres raisons, la banque de semences de l’Université Acadia pourrait permettre de rétablir sa population et d’empêcher son extinction.
La benoîte de Peck n’est pas la seule espèce à prospérer dans les conditions difficiles des îles de la Nouvelle-Écosse. L’île Brier, en particulier, est également un point chaud pour les oiseaux migrateurs et est fréquentée par le monarque, désigné en voie de disparition aux échelons fédéral et provincial. Selon Alain Belliveau, l’importance de la benoîte de Peck découle en partie de sa relation avec son environnement. Il la compare à une sentinelle qui veille sur les autres espèces et sur la santé générale des tourbières de l’île de Brier.
« C’est la première chose que l’on remarque si quelque chose ne va pas », explique-t-il.
Pendant que les scientifiques de l’Université Acadia apprennent tout ce qu’ils peuvent sur la benoîte de Peck, CNC et de nombreux partenaires continuent de veiller sur son habitat sur l’île Brier dans le cadre de projets qui, bien que très différents les uns des autres, sont complémentaires. C’est ainsi que cette petite fleur jaune nous permet de découvrir une multitude de façons de prendre soin de la nature.