Les milieux humides jouent un rôle crucial pour l’humain et la nature
Milieu humide, Collines Beaver, Alb. (Photo de la Beaver Hills Initiative)
Depuis 20 ans, j’ai pour voisin un marais, et mon appréciation pour lui ne fait que grandir. Je prends plaisir à observer l’éclosion printanière du populage des marais (une plante), à écouter le réveil annuel de la rainette crucifère (une grenouille), et je souris chaque fois que j’aperçois un canard branchu, tout coloré, perché dans un arbre.
Deux sources alimentent mon marais : les eaux souterraines et celles de ruissellement de la fonte des neiges ou des abondantes pluies d’été.
Un site est considéré « milieu humide » s’il est saturé d’eau ou inondé de façon permanente ou saisonnière. Il n'y a pas si longtemps, une majorité de gens n’aimaient pas les marais et autres milieux humides. Ils ont longtemps été perçus comme des espaces inutiles qu’il valait mieux drainer ou remblayer.
Au Canada et ailleurs dans le monde, la plupart des milieux humides sont menacés. On estime en effet que 64 % d’entre eux ont disparu du globe depuis 1900. Ce déclin rapide est un phénomène planétaire.
Le Nord canadien abrite près du quart des milieux humides restants dans le monde. Ces milieux sont d’une grande importance pour le pays et pour le monde entier, car ils offrent des habitats de nidification pour des millions de sauvagines et stockent une quantité phénoménale de carbone à l'échelle planétaire. Le nord du Canada est l'un des derniers endroits au monde où les milieux humides sont demeurés entièrement sauvages.
Dans le sud du Canada par contre, là où habite la majorité de la population canadienne, les milieux humides subissent le même sort que dans le restant du monde. En 1990, on estimait que près de 20 millions d’hectares (50 millions d’acres) de milieux humides au Canada avaient été détruits. Ceux situés en région urbaine sont particulièrement menacés; d’ailleurs, 80 à 98 % d’entre eux ont été convertis à d’autres usages.
Le Canada a fait de bons coups en conservant certains de ses milieux humides et en inscrivant 37 sites sur la Liste des zones humides d’importance internationale. Bon nombre de ces milieux sont situés dans des parcs nationaux et nous continuons d’en ajouter à notre liste de milieux humides protégés, et ce, tout en établissant de nouveaux partenariats en vue de leur conservation. Des organismes comme Conservation de la nature Canada et Canards Illimités Canada protègent des milieux humides avec l’aide de la population et du Programme de conservation des zones naturelles du Gouvernement du Canada.
Malgré nos efforts collectifs, des milieux humides continuent de disparaitre. Même ceux qui bénéficient d’une protection sont de plus en plus menacés. Des espèces envahissantes, comme le phragmite envahissant (roseau commun) et le nerprun bourdaine, dégradent bon nombre des milieux humides qu'il nous reste. Le frêne noir, un arbre encore commun dans plusieurs marais, a récemment été désigné menacé au Canada, en raison de l’impact prévisible d’un coléoptère envahissant, l’agrile du frêne.
Pour protéger les milieux humides, nous devons voir plus grand. Plusieurs espèces qui fréquentent ces milieux dépendent également des hautes terres avoisinantes. La rainette crucifère, par exemple, se déplace dans la forêt une fois son concert printanier terminé. Aussi, l’eau qui va et vient des milieux humides a des effets sur l’ensemble du bassin versant, tout comme ce dernier a un impact sur les milieux humides qui s’y trouvent.
Les milieux humides urbains et ruraux comptent probablement parmi les écosystèmes qui « travaillent le plus fort » de la planète. Depuis des siècles, ils nettoient notre eau, préviennent les inondations et offrent un habitat à la faune et la flore.
Nous pouvons faire beaucoup plus pour protéger les milieux humides. Il faut d’abord terminer leur inventaire au Canada. Les plus importants doivent être localisés, protégés et restaurés. Nous devons créer des plans de gestion pour empêcher les espèces envahissantes de s’y installer et mettre sur pied un plan pour assurer la santé de nos bassins versants. Et, chose peut-être plus importante encore, nous devons développer une nouvelle appréciation des bienfaits que nous procurent ces milieux, aujourd’hui et pour les générations futures.
Je ne veux pas que mes enfants grandissent dans un monde où la nature est appauvrie. Dans un monde dépourvu de milieux humides, où l’hiver ne se termine pas avec le son du coassement des rainettes crucifères, où le travail et les coûts engendrés par le contrôle des inondations et la purification de l’eau sont transférés de la nature aux populations.
C’est le temps ou jamais de protéger nos milieux humides. Alors que nous devenons de plus en plus nombreux, que les populations animales et végétales sont en déclin, et que nous sommes témoins de changements rapides à l’échelle planétaire qui affecteront à jamais les générations futures, le Canada, et le monde entier, ont plus que jamais besoin des milieux humides.
(Dan Kraus est le biologiste principal en conservation à Conservation de la nature Canada)